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Prendre la parole en public : une expertise à valeur ajoutée

by Sophie BACKER

Je me souviens de ce client, l’un des tous premiers mondiaux sur son secteur industriel, qui me disait perdre des parts de marché à l’international du fait de la piètre prestation à l’oral de ses commerciaux : trop longue, trop verbeuse, trop littéraire. A l’inverse de ce qu’on attend aujourd’hui : le très anglo-saxon « straight to the point ».

« Straight to the point » – droit au but –, telle est l’exigence du message dans le monde ouvert du digital. Une expression courte et impactante, en cent quarante caractères pour le mode tweet. Cent quarante caractères, à opposer à notre culture littéraire en thèse, antithèse, synthèse. Aujourd’hui l’écrit se construit comme l’oral : en accroche ; en

« pitch ». Et à propos : l’oral se construit comment ?

Dans la très grande majorité des cas, on ne se sait pas ; on n’a jamais appris. Parfois, nous avons reçu quelques conseils, en école de commerce ou en préparation d’un concours. Mais rien de conséquent. Rien sur le mode « pitch », le mode de construction d’un message qui va permettre à l’orateur de sortir du lot, d’être écouté, entendu, compris, retenu, suivi… Il est question de la capacité à convaincre, à remporter l’adhésion…

J’accompagne depuis 2010 des patrons et des élus sur le sujet de leur expression face au public et/ou face aux médias. Je suis frappée par l’inconfort profond qu’ils éprouvent face à l’exercice.

En premier lieu, ils voient bien que le sujet leur échappe : consommateurs, comme nous tous, de communications -télévision, radio, vidéos, Youtube- , ce monde-là, celui de la mise en visibilité, leur est étranger. Situé quelque part entre fascination et répulsion. Ils redoutent leur propre image à l’antenne : ils ne la maîtrisent pas ; ils ne l’aiment pas.

Ensuite, quand ils acceptent de prendre le micro, ils le font à l’occasion de colloques, ou de conférences, face à un auditoire acquis à leur cause, bienveillant et enclin à les écouter patiemment ou…faire semblant. Rien de bien risqué : ils sont dans l’entre-soi.

Enfin, ces orateurs dilettantes ne savent pas réellement ce qu’on attendrait d’eux dans une prise de parole « idéale ». Ils n’ont pas le temps de le réfléchir, et encore moins de le travailler et de le rôder.

– Une véritable expertise –

Et pourtant, la prise de parole en public n’a rien d’intuitif. Elle répond à des codes bien précis ; elle s’apprend, avec une méthode et des outils. C’est aujourd’hui une véritable expertise, qui se valorise sur un CV, par exemple quand un candidat peut revendiquer des passages dans les médias.

La capacité à prendre la parole face au public devrait être favorisée, dès le plus jeune âge, à l’école, par une incitation à l’expression orale. Comme ailleurs, surtout dans les pays anglo-saxons. Or l’école française apprend d’abord à écouter ; et donc à se taire. L’école française apprend aussi à se conformer, à rentrer le moule. A l’opposé d’un modèle où sont développées les situations d’expression. Le modèle français a certainement présenté des avantages. Son inconvénient majeur, dans le monde d’aujourd’hui, est qu’il rend inaudible. Savoir communiquer est aujourd’hui une aptitude incontournable au même titre que l’utilisation de l’ordinateur et des outils digitaux. Ne pas vouloir le regarder relève d’une crainte collective de parler haut et clair. Car prendre la parole c’est prendre sa place ; et prendre sa place c’est prendre le risque de dire.

On croit encore, en France, qu’en multipliant les arguments, on n’en est que plus légitime. Or les énumérations diluent l’impact du message.

On croit encore, en France, qu’il faut tout savoir sur un sujet pour pouvoir en parler. Car on confond savoir et savoir dire.

On croit encore, en France, qu’il faut présenter le pour et le contre. C’est confondre le sujet et l’éclairage porté sur le sujet. C’est confondre l’exposé et le message. C’est tout ignorer de ce qu’est un message.

A l’instar des développeurs des Ted’x, ces concours de conférence visibles sur le net, considérons que la prise de parole en public peut et doit s’apprendre. Négliger cette aptitude, c’est obérer notre capacité collective à pendre notre place 3.0.

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