Un peu de fraicheur… le talent ? il nous entoure … recruter autrement tout est possible
La réindustrialisation est à l’ordre du jour. Mais comment faire sans personnel qualifié, et avec une industrie qui souffre toujours d’un déficit d’image ? C’est la question à laquelle a été confronté Thierry Boulanger, président de vRproduction(nuelles).https://www.vrproduction.fr/fr/vrproduction.html
Il a créé, il y a 2 ans, une école de production, la Fabrique – Académie de mécanique basée à Villefranche sur Saône.
Comment vous est venue l’idée de créer une école de production ?
Je dirige la société vRproduction(nuelles) depuis 15 ans. L’entreprise est basée à côté de Lyon, spécialisée dans l’usinage de pièces de fonderie. Nous usinons de grosses pièces, notamment pour les gros moteurs, le ferroviaire, le matériel agricole, les camions… Elle emploie cinquante personnes. C’est une filiale de vonRoll infratec, un groupe suisse d’un millier de salariés.
Depuis des années le savoir-faire des personnels qualifiés en usinage diminue. On voit disparaître les compétences. Trouver un profil technique devient de plus en plus compliqué et les jeunes arrivent sur le marché du travail avec un niveau technique très en dessous des attentes des industriels.
Aujourd’hui, face à cette pénurie de main d’œuvre qualifiée, je recrute une partie de mes salariés sans CV. J’utilise depuis 7 ans la méthode de recrutement par simulation (MRS) de Pôle Emploi. Je cherche des profils motivés et ayant un bon savoir-être. J’apporte le savoir-faire. Quand une personne est motivée, elle va progresser rapidement. 15% de mon personnel provient de ce type de recrutement.
En parallèle, j’ai cherché une solution pour créer un centre de formation capable de répondre à mes attentes : former des jeunes pour leur permettre d’acquérir un solide savoir-faire et un savoir-être indispensable pour un travail en équipe. Le modèle des écoles de production a retenu mon attention : ce sont des écoles gratuites accueillant des jeunes à partir de 15 ans, c’est une pédagogie basée sur le faire pour apprendre qui permet aux élèves d’acquérir une solide expertise technique. Le taux d’employabilité à la sortie est de 100%. “Je me suis lancé le challenge de créer une école de production sur notre territoire”
Et maintenant que vous avez créé une école de production, qu’en pensez-vous ?
Extraordinaire ! Nous avons une belle école qui est connue et commence à être reconnue. On réussit à attirer des jeunes, on fait le plein de nos promotions. Les industriels locaux sont impatients d’embaucher nos premiers diplômés.
On recrute des jeunes sans regarder leur bulletin scolaire, en décrochage scolaire, ou qui ne se reconnaissent pas le système scolaire traditionnel. On recrute aussi des jeunes qui recherchent un métier manuel. On leur apprend un métier, on leur redonne confiance en eux, on les fait grandir et après leur diplôme, ils trouvent du travail immédiatement.
Notre pédagogie est basée sur le Faire pour apprendre. Nos élèves passent 25h par semaine dans les ateliers. C’est une approche remarquable : A la fin de leurs études, nos jeunes savent travailler. L’école fera sa 3ème rentrée en septembre prochaine. 35 jeunes seront alors présents. A terme notre école accueillera une cinquante d’élèves.
Et les femmes?
13 jeunes passent cette année le CAP. Ensuite, ils prépareront le bac pro TRPM (technicien d’usinage). Nous sommes très fiers d’accueillir déjà 2 jeunes filles. C’est 10% de notre effectif, ce qui prouve que les métiers de la mécanique sont aussi ouverts aux jeunes filles.
Nous avons réussi à construire une belle école, avec de beaux ateliers, de belles machines.
L’équipe pédagogique est remarquable.
Nous faisons venir les familles, les Institutions locales, les élus. Nous leur expliquons la pédagogique de l’école, le parcours et la réussite de nos élèves. Nous en profitons pour présenter les nombreux débouchés dans l’usinage. Les industriels locaux sont présents à nos côtés. Nous voulons que notre école soit en connexion permanente avec le monde du travail.
Notre philosophie, c’est l’excellence. Notre école a accueilli en janvier dernier les pré-sélections régionales des Worlskills (Tournage & Fraisage). En Avril, le Jury national des MOF (Meilleurs Ouvriers de France) se réunissait à l’école pour noter les œuvres de la 27ème édition du concours (métier Outillage & Prototypage). Nous préparons aussi nos jeunes aux concours nationaux.
Une de nos élèves vient de décrocher cette année une médaille d’or régionale au concours « Un des Meilleurs Apprentis de France » en tournage traditionnel. La prochaine étape est l’épreuve nationale fin juin.
Nous pensons que l’Excellence tire nos élèves vers le haut.
Nous essayons de donner du sens à notre pédagogie. Nous voulons que nos jeunes soient fiers de leur métier. Nous voulons leur redonner l’envie de venir à l’école pour apprendre. Nous avons de nombreux témoignages de parents qui voient leurs enfants s’épanouir et prennent plaisir à leur raconter leur journée passée à l’école.
Quels conseils donneriez-vous à un dirigeant d’entreprise, qui ferait face aux mêmes problèmes que les vôtres ?
Il faut s’ouvrir ! Avec mes confrères, on échange beaucoup. Ils me demandent souvent si je peux leur « passer un jeune ». Je leur dis non, soyez patients. Ils doivent terminer leur formation qui dure 4 ans.
En attendant je les invite à recruter autrement, chercher d’autres profils, à ne pas se focaliser sur le savoir-faire mais rechercher des savoir-être et former.
Je mets aussi en avant mes recrutements de femmes à des postes d’opératrices. Je n’ai eu que des réussites. Elles sont capables d’apprendre très vite même si au départ elles étaient nounous, hôtesses de caisse… Elles ont leur place dans nos ateliers de mécanique. Cette mixité est aussi un plus pour l’ambiance générale de nos ateliers. La présence d’une femme dans une équipe apporte toujours de l’apaisement.
Il existe des aides à la formation (AFPR proposé par Pôle Emploi) pour former ce personnel sans compétence technique. Sans engagement, sans risque, nous pouvons tester, former et embaucher. Il faut essayer.
Comment voyez-vous l’avenir de l’industrie ?
L’industrie souffre toujours d’un déficit d’image. Les métiers de l’industrie sont mal connus. L’enseignement professionnel est toujours une voie de garage proposée aux jeunes en échec scolaire. Le grand public ne connait plus la signification des mots usinage, tournage, fraisage. Il n’existe plus de diplôme en usinage avant le bac. Il n’existe plus un seul diplôme avec le mot usinage.
Comment relocaliser ou réindustrialiser dans ces conditions ? Je suis inquiet à l’échelle de notre pays pour l’avenir de notre métier et de nos entreprises.
Mais nous n’avons jamais parlé autant d’industrie alors les choses sont peut-être en train de changer. Nous devons allez vite pour former et attirer plus de monde vers l’industrie. Former un bon technicien prend 5 ans, 10 ans. Toute une génération d’ancien tourneurs, fraiseurs part en retraite et nos sociétés se vident de leur compétence technique. Il y a urgence !
Cette inquiétude ne doit pas nous empêcher d’agir.
En créant La Fabrique – Académie de mécanique nous avons décidé d’agir localement pour nos jeunes, notre métier et nos entreprises. L’accueil de ce projet sur le territoire de Villefranche sur Saône a été remarquable. Nous avons reçu de l’aide de toute part. C’est aussi la preuve que cette prise de conscience collective nous permet de mobiliser beaucoup de monde, de moyens et d’avancer vite.
C’est pour cette raison que je suis inquiet mais que je reste optimiste pour l’avenir de notre industrie.
ce témoignage nous a été envoyé par christophe Faurie, Président association des interpreneurs