By Ariane WARLIN
Nous l’avons souvent expérimenté : il n’est pas toujours évident pour une femme de s’imposer dans le cadre d’une prise de parole, a fortiori quand elle est en minorité et que le contexte est conflictuel. La plupart des hommes le reconnaissent d’ailleurs bien volontiers : les codes de l’entreprise desservent le fonctionnement féminin, davantage basé sur la collaboration, l’entraide et l’harmonie de groupe. A l’inverse, le mode « combat » est souvent celui qui est privilégié dans le contexte professionnel, et n’a d’ailleurs la plupart du temps rien à voir avec une quelconque misogynie. Deux voies se profilent alors pour la gent féminine : s’effacer et ne plus rien dire. Ou tenter de parler plus fort, au risque de passer à leurs yeux pour « une hystérique ».
Pourtant, en misant sur l’assertivité, il est possible de s’affirmer de manière pertinente. Laurence Parisot est l’une des championnes en la matière. Elle parvient systématiquement à garder son calme, et à répondre avec un grand sourire, y compris pour dire qu’elle n’est « pas du tout d’accord ». Beaucoup plus efficace vous en conviendrez que de manifester sa désapprobation en hurlant !
Précisément, le contrôle de soi est clé. C’est l’une de nos armes les plus efficaces ! Face à des personnes ayant le « détonateur un peu court », le fait de conserver une tranquillité olympienne est assurément un atout. Inversement, l’agressivité est la force des faibles et de ceux qui sont dominés par le désir de pouvoir et de toute puissance. Ne soyons pas dupes : il s’agit en effet souvent de compenser un grave état de faiblesse intérieure.
Cette tendance à interrompre les femmes est tellement prégnante qu’on la qualifie de manière conceptuelle de « manterrupting », contraction entre « man » et « interrupting ». Comprenez la détestable manie qu’ont certains hommes (et heureusement pas tous), à couper la parole aux femmes. Je vous invite à visionner cette excellente vidéo où une jeune femme revient sur cette pratique. Patrick Menucci ne cesse d’interrompre Samia Ghali, et cherche aussi au passage à lui expliquer ce qu’elle a en tête. C’est la « mensplication », autrement dit le fait que certains hommes savent bien sûr beaucoup mieux que leur interlocutrice ce qu’elle même pense. Ou ne devrait-on pas dire « doit penser » ?
La journaliste explique aussi que « les conseillères de Barack Obama ont remarqué que leurs collègues masculins les interrompaient tout le temps. Et surtout, ils en profitaient au passage pour reprendre leurs idées ». Rien de spécifiquement américain ceci dit. Elles ont donc inventé une stratégie : celle de « l’amplification ». Dès qu’une femme propose une idée, une autre femme répète la même idée quelques minutes plus tard en prenant bien soin de rappeler le nom de sa collègue qui l’a proposée en premier. Une technique solidaire qui a fait ses preuves.
Mais ne soyons pas dans la caricature. On peut aussi imaginer que ce soit des hommes qui se montrent solidaires de vos propos et respectent le « droit d’auteur » de vos idées. Si vous n’avez toutefois pas la chance de pouvoir compter sur ce type de relais bienveillants, sachez que plus vous serez imperturbable et sereine face à des tentatives d’intimidation, plus vos interlocuteurs un peu tyranniques (là encore, qu’il s’agisse d’hommes ou de femmes) seront déstabilisés. A contrario, plus vous manifesterez agitation et désarroi, plus ils vous écraseront lamentablement.
Depuis une dizaine d’années, j’anime des media trainings et des accompagnements à la prise de parole en public en parallèle de mon activité de journaliste. Je me souviendrai toujours de la réaction d’une femme alors que nous faisions un jeu de rôle dans le cadre duquel je simulais son vice-président. Elle m’avait suggéré pour me « fondre dans le personnage » d’interpréter quelqu’un de froid, d’expéditif et de cassant. Soudain, elle a fondu en larmes. J’étais mortifiée. Elle m’a assuré que cela n’avait évidemment rien à voir avec moi, que j’étais « bien en deçà de la réalité », mais que cet exercice l’avait replongé dans une situation tellement difficile à vivre qu’elle avait littéralement « craqué ».
Il n’est certes pas facile de faire face à un tyran dominateur, ou même tout simplement à de « grandes gueules » imbues d’elles-mêmes, ou encore à des « grincheux » par essence jamais satisfaits, mais il existe toutefois des outils. La posture, un travail sur la voix, mais aussi des astuces de rhétorique et un savant storytelling permettent de gagner en charisme. Il convient aussi de déprogrammer certains réflexes, en arrêtant par exemple de se justifier. Mieux vaut en effet argumenter. La différence entre les deux est parfois ténue, mais elle fait toute la différence.
Et puis sachons miser sur des qualités très féminines (bien que pas exclusivement), telles la bienveillance et l’empathie pour nous différencier, plutôt que de calquer nos attitudes sur celles des hommes. N’oubliez pas qu’une main peut rester « de fer » même si elle est dans un gant de velours ! Et que le gant de crin, en revanche, n’est pas forcément adapté, surtout s’il s’agit de fédérer et de mobiliser des équipes.
Pour réussir, mais surtout, pour s’y retrouver et rester alignée, sachons rester nous-mêmes ! Ne vous découragez pas, sachez qu’on ne naît pas leader. On le devient ! Autre bonne nouvelle : on est toutes capables de progresser. A deux conditions : y travailler d’une part. Et se faire confiance d’autre part ! A vous de jouer…