J’aime ce mois-ci Tribune d'expression

L’envol du papillon

Texte rédigé par Odile Monier

Entre appels apocalyptiques et impérieux nous convoquant toutes et tous à la fin d’un monde bien vite condamné, et les sirènes un brin désaccordées chantant l’émergence d’un monde radicalement nouveau mais dont les contours peinent à se dessiner, on pourrait se sentir un peu perdue, aussi bien comme citoyenne, entrepreneure, mère de deux enfants, européenne convaincue…

Oui, les mois écoulés ont mis à rude épreuve nos structures et nos modes de vie, aussi bien professionnels que personnels, collectifs et individuels. De soudaines lignes de forces, voire de fracture et d’isolement, ont traversé nos vies et nos entreprises. Pour les femmes entrepreneures en particulier, l’année aura été rude. Le recouvrement imposé en un seul espace de toutes nos réalités quotidiennes n’aura pas été de tout repos. Bien sûr, nous n’avons pas été seules dans ce cas, mais sans doute particulièrement exposées.

Et pourtant, ce n’est pas un billet victimaire ou une soudaine épiphanie que j’ai envie d’écrire ici… Non, j’ai plutôt l’envie de vous proposer une autre voie. Un retour sur image de notre vécu et de quelques modestes découvertes associées, autant de forces pour l’avenir ?

Bref une voie pragmatiquement optimiste, un chemin à défricher, les pieds sur terre et pourquoi pas, le regard dans les étoiles.

 

Un rapide retour sur image, pour souligner ce que d’autres analyses de la « crise » ont déjà amplement décrit. J’irai donc à l’essentiel.

Premier constat : notre formidable adaptabilité ! Je suis admirative devant la force de toutes ces femmes que je côtoie au quotidien, et en tout premier lieu dans mon entreprise, devant leur capacité à revenir dans le jeu professionnel, terrain qu’elles n’ont en fait pas quitté, mais appris à explorer autrement. Pour beaucoup, il paraît impensable aujourd’hui de revenir en arrière, tout simplement par choix et par confort. Nous avons développé de nouvelles façons de travailler, entre nous, avec nos clients, nous avons testé, tenté, repris, innové, recommencé !

Deuxième constat : l’humour et l’auto-dérision qui se sont aussi invités pendant cette période, et qui ont décidé de s’incruster et c’est tant mieux. Quel ennui aussi de croire que pour faire les choses avec goût et intelligence, il faudrait être triste et pontifiant… La collision entre les espaces personnels et professionnels a généré bien des stratégies de survie, et leur mise en place de belles séances d’humour. Cet humour et cette capacité à voir une réalité sous des angles multiples sont aussi des outils précieux pour apprendre se détacher de certitudes par trop enfermantes. Et c’est sans doute l’un des grands enjeux d’aujourd’hui, développer les nouveaux modèles nécessaires aux entreprises pour se transformer.

Troisième découverte : la force et l’importance toujours plus grandes de la solidarité et du réseau. C’est une évidence pour toutes les femmes qui travaillent sous le statut d’indépendantes, mais c’est tout aussi vrai à l’intérieur des entreprises. Les solidarités et les partenariats qui sont nés par force en quelque sorte, mutent désormais en envie de faire autrement.

 

« Envie », le grand mot est lâché.

Il me semble qu’au sortir de cet épisode de crise qui n’en finit pas, ou plutôt au prélude du cycle de grande transformation dans lequel nous entrons, nous avons un choix à poser : comment accompagner notre monde, nos entreprises, nos sociétés, et quelle contribution y apporter ? Pour nous les femmes dans l’entreprise, c’est un moment unique où nous pouvons faire le choix de peser sur la qualité des réponses et sur leur mise en œuvre, au service d’un monde habitable pour toutes et pour tous, un monde conscient de son empreinte et de sa fragilité.

Pour choisir, il faut poser sa liberté, et oui, s’affranchir, même douloureusement, de la peur. Peur d’échouer, peur de ne pas savoir, peur de ne pas avoir les moyens, peur d’oser être soi, peur de ne pas entrer dans le moule et de perdre une sécurité … autant de peurs qui nous ligotent à un moment ou un autre, mais qui ce faisant nous condamnent à la répétition monotone, à la perte de sens, à la fadeur et in fine à l’inaction.

Pire, à une forme d’opportunisme qui se lit dans les modes et les mots d’ordre bien souvent vides de contenu, et que l’on voit à l’œuvre tourner dans nos environnements professionnels… autant de bonnes idées lancées, mais aussi parfois recyclées sous forme de modes, jusqu’à épuisement du sens. Pourquoi cette usure si souvent dénoncée dans nos structures ? Il me semble que toute bonne idée nécessite un terreau pour exister et vivre sa vie, une bonne terre où prospérer et développer ses racines : la conviction profonde, l’ajustement intérieur et indispensable entre ce que l’on est et ce que l’on affiche. Et cela ne se décrète pas, ni se s’invente à coup de formules ou de messages… Cela s’incarne. Et l’on en revient à cette envie, ce goût de l’essentiel qui feront la différence.

Alors, comment aller chercher l’envie et la motivation ? Comment oser exprimer sa voix ? Bref, comment aller chercher l’étoile ?

Je tenterais ici une réponse, basée sur mon expérience et l’observation de ces femmes avec qui j’ai la chance de travailler : pour accompagner une transformation en profondeur, oser y entrer, inventer de nouvelles façons de faire, ne pas craindre l’échec mais recommencer et avancer malgré tout, ces femmes ont d’abord fait d’elles-mêmes leur propre terrain de transformation. Les réponses apportées sont toutes différentes, mais c’est ancrées dans leur capacité à se remettre en question, à découvrir ce qui est leur essentiel, à porter haut leurs couleurs et à faire briller leur lumière spécifique, qu’elles ont appris à « être au plus près d’elles-mêmes ». C’est alors qu’elles déploient leurs forces et que leur voix sonne haut et juste pour inventer ce qui est à inventer dans leur monde quel qu’il soit, entreprise, association, école, réseau, …

 

Finalement, dans ce monde qui nous interpelle aujourd’hui comme jamais, il faudra avancer « en vérité de soi-même ». Je m’explique : bien sûr que nous saurons mettre à profit tous les outils et les méthodes que nous avons appris à déployer au service des transformations, mais le temps est révolu des réponses préformatées. Dans cet incertain qui nous challenge et nous secoue, il nous faut apprendre à avancer la tête vers la cible et les pieds sur terre, apprendre à défricher des chemins nouveaux et inconnus, à faire le deuil des réponses connues d’avance. Et c’est tant mieux !

Il est temps de devenir « explorateurs du vivant dans l’entreprise », un peu comme le Petit Prince nous y appelait en opposition aux géographes… et pour cela, il nous faut trouver et suivre notre propre boussole. Appliqué au champ du métier de conseil qui est le mien, je suis intimement convaincue que c’est grâce à ce « travail » que la rencontre entre l’entreprise et le consultant peut se faire en vérité et dans l’intérêt de ce renouvellement que chacun appelle de ses vœux et pressent comme inéluctable.

 

Finalement, c’est à une métamorphose interne et externe, individuelle et collective que nous sommes toutes et tous appelés.

L’envol du papillon nous y invite ! C’est une belle promesse non ?