Texte rédigé par Philippe Bloch
Startup : mot féminin en sept lettres désignant une entreprise surgie de nulle part et capable d’apporter avec peu de ressources dans un contexte de grande incertitude une réponse rapide et disruptive à un besoin existant, mais jusqu’alors mal adressé.
Quelle que soit la définition qu’on lui donne, ce phénomène objet de tous les regards à travers le monde intrigue autant qu’il fascine ou inquiète, à mesure qu’il révolutionne les usages de notre quotidien et que les jeunes pousses françaises partent à la conquête du monde. Aucun secteur d’activités n’échappe plus à leurs attaques, semant un vent de panique dans la « vieille économie » et provoquant d’innombrables remises en cause au sommet des tours de La Défense autant que de Wall Street.
Si aucune entreprise ne se pose plus désormais la question du « pourquoi » entamer ou accélérer sa transformation digitale (« disruptez ou soyez disrupté ! »), toutes s’interrogent sur le « quoi » accélérer, et plus encore sur le « comment » y parvenir. Car derrière le mot transformation se cache une modification en profondeur de la culture de l’entreprise, son business model, son organisation en silos, ses priorités, ses valeurs, ses modes de travail, etc., afin qu’ils soient tous alignés sur une même vision inspirante. Comment retrouver l’agilité et la créativité de leurs débuts ? Comment s’inspirer de ces micro-entreprises dirigées par des gamins d’autant plus agaçants qu’ils bénéficient d’un avantage extraordinaire, à savoir une maîtrise aussi intuitive que parfaite du web et des outils numériques avec lesquels ils sont nés, et dont le coût n’a cessé de baisser depuis dix ans ? Comment être ou redevenir cool ?
Il faut dire que jamais nos repères n’avaient tous été bousculés en même temps. Jamais dans l’histoire de l’humanité les jeunes générations n’avaient bénéficié d’un tel avantage stratégique et d’une telle longueur d’avance sur celles qui les ont précédées. Jamais le pouvoir de la jeunesse n’avait semblé menacer autant celui de l’expérience. Jamais la marche naturelle du monde et de la transmission n’avait ainsi été bouleversée. Jamais l’absence d’appartenance à une famille, une caste ou une classe sociale n’avait aussi peu handicapé la capacité à vivre ses rêves et à afficher ses ambitions.
Soit une inversion historique des rôles, extrêmement traumatisante pour quiconque n’appartient pas à la catégorie des millennials. En même temps qu’émergeait le concept d’entrepreneur du digital apparaissaient de nouveaux codes, règles, communautés, modes d’organisation, façons de travailler ou de manager, parfois difficiles à décrypter pour les non-initiés mais qui sont en train de s’imposer comme autant de nouveaux standards. Une véritable novlangue est née, porteuse d’un imaginaire, d’un patrimoine et de repères communs à une nouvelle génération de conquérants. Dans les bureaux du Silicon Sentier, de Berlin ou de Barcelone, imaginés par les mêmes décorateurs, on trouve désormais les mêmes posters affichant les mêmes citations des mêmes auteurs censées motiver les troupes. En réduisant les frontières entre vie professionnelle et vie personnelle (le fameux Blurring) et en important au bureau certains codes de la vie privée (notamment vestimentaires et mobiliers), les startups ont inventé un monde parallèle et branché, aux antipodes des sièges sociaux remplis de longs couloirs sinistres aux portes closes et aux costumes gris.
A l’image d’extra-terrestres qui auraient créé leur propre planète et leurs propres rituels pour y planifier l’invasion de notre bonne vieille terre, ces entrepreneurs ont presque involontairement multiplié les obstacles et les mystères afin que personne ne vienne percer leurs secrets et menacer leur soif de conquête. Et une fois leurs armes mises au point, ils sont passés à l’attaque. Un secteur après l’autre. Un produit après l’autre. Un service après l’autre. Sans jamais redouter un seul instant que leur taille puisse être un obstacle face aux géants qu’ils avaient pris pour cibles. Un traumatisme que beaucoup d’héritiers du « vieux monde » ont mis du temps à digérer avant de se remettre en question, victimes de leur confort, leur cécité, leurs lourdeurs et leurs process. La bonne nouvelle est qu’il n’est pas trop tard pour se réinventer (d’innombrables exemples en attestent), mais le temps presse.
Après « Tous entrepreneurs ! » serait donc venu le temps du « Tous startuppers » ! Dans les sièges sociaux comme dans les usines ou les magasins ayant pour le moment résisté au rouleau compresseur Amazon, chacun est désormais prié de se réinventer pour ne pas programmer trop vite son enterrement. Pour y parvenir, une seule solution : développer l’esprit d’entreprise. Le véritable secret de la planète startup, qui en est l’incarnation la plus récente.
Au-delà de la numérisation de tout ce qui peut l’être, le plus grand défi pour réussir la transformation digitale de votre entreprise consiste en effet à mettre en œuvre un management « intrapreneurial ». Lequel répond à des principes simples mais exigeants, car nécessitant une profonde remise en cause de vos habitudes. Un intrapreneur est en effet un collaborateur autonome investi de tous les moyens pour prendre en toute liberté et le plus rapidement possible les meilleures décisions convenant à chaque situation à une époque de grande incertitude. Une sorte d’électron libre parfois agaçant, mais devenu indispensable à la survie de toutes les entreprises, quels que soient leur histoire, leur âge, leur taille ou leur secteur d’activité.
N’oubliez jamais qu’aucune entreprise n’échappe au risque de mourir à petit feu dès lors qu’elle grandit, se bureaucratise et cesse d’innover. Startup ou pas. Le défi est immense et passionnant. A l’image de notre époque.