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Les femmes qui ont réussi à changer de vie sont-elles plus féministes que les autres ?

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Ecrit par wimadame

Texte rédigé par Chloé Schemoul

Chloé Schemoul, auteure du Manuel de l’Affranchi : les étapes pour une réorientation professionnelle réussie, nous livre sa réflexion sur le lien entre féminisme et réorientation.

Quand on m’a demandé d’écrire une tribune liée à la réorientation et “orientée femmes”, je me suis d’abord dit que le lien réorientation / femmes risquait d’être superficiel. J’ai même dit à une amie que “s’il y a bien un sujet face auquel l’homme et la femme sont égaux, c’est dans leur quête d’épanouissement personnel”. Après tout, parmi les femmes et les hommes que j’ai interrogés sur leur chemin vers une nouvelle vie, j’ai entendu des envies d’être soi-même, et, souvent aussi, des envies d’être utiles, qui n’admettent pas spécialement de distinction de sexes.

Oui, mais, en repensant à mon propre parcours vers mon épanouissement professionnel, j’ai réalisé que ce sont surtout des femmes qui éclairent ma voie.
Pour comprendre pourquoi, j’ai passé en revue les étapes par lesquelles passe chaque personne désireuse de se réorienter, et j’ai alors compris pourquoi la question du genre était forcément omniprésente, en tout cas aujourd’hui.
J’ai aussi compris pourquoi l’expérience de la réorientation, par la solidarité qu’elle provoque, laisse un parfum de féminisme dans les nouveaux quotidiens des réorientées.

Arrêter de faire l’autruche, et refuser la définition genrée de la réussite.

Dans la première étape vers une nouvelle vie professionnelle plus épanouie, il s’agit d’arrêter de faire l’autruche. C’est-à-dire qu’il s’agit d’arrêter de suivre une voie qu’on n’a pas vraiment choisie, ou qui ne nous correspond plus.

Force est de constater que les fausses croyances ou injonctions que nous subissons, héritées de la société ou de nos proches, sont très genrées, encore aujourd’hui. La vision collective du succès de la femme diffère de la vision collective du succès de l’homme.

C’est ce qu’a vécu Esther, que l’on a tenté de décourager face à son envie de rentrer dans le monde masculin de la recherche en économie, Claire, à qui l’on a conseillé de “trouver un mari riche d’abord” avant de devenir comédienne, ou Aïcha, appelée “superficielle” pour son goût pour les compositions chimiques des produits esthétiques.

Parmi tous les combats à mener pour se réapproprier notre définition de la réussite, il y a ainsi invariablement des combats liés à notre féminité.  Une fois que l’on a défini ce qu’on veut, vient ensuite le temps de l’action, qui nous met face à nos peurs et à notre culpabilité. La question du genre ressurgit alors.

Bâtir sa confiance en soi, et refuser les culpabilités genrées imposées.  

Nos peurs et nos doutes sont autant de freins qui nous empêchent d’imaginer et de construire sereinement notre chemin vers nos désirs professionnels.  Or notre façon de culpabiliser est intrinsèquement liée à notre condition de femme, d’épouse, de mère, de fille et d’amie. C’est en tout cas ce qui m’est apparu en recevant 50 témoignages d’aspirants affranchis et d’affranchis.

La différence la plus frappante est aussi la plus classique : c’est celle qui sépare les pères des mères.

J’ai notamment en tête l’exemple d’Hélène, 42 ans. Hélène gère les transformations digitales d’hôpitaux. Voilà déjà cinq ans qu’elle réfléchit à s’affranchir, et elle m’a confié qu’elle “regrette de ne pas avoir appris à écouter [ses] talents” et même “d’avoir joué à un rôle, de [s’]être travestie”, jusqu’à aujourd’hui. Mais quand je lui demande pourquoi elle ne s’est pas encore réorientée, Hélène me répond qu’elle a “peur de ne pas conserver assez de temps pour [son] fils”. En tant que maman, elle a le sentiment qu’il ne serait pas raisonnable de se reconvertir, même si les conditions financières et pratiques sont par ailleurs réunies pour lui permettre concrètement de changer de voie.

Elle n’est pas la seule mère à m’avoir exposé ce genre de doutes sur le temps consacré aux enfants. À date, je n’ai d’ailleurs pas entendu de père avoir la même réflexion. Un peu comme les images imposées de la réussite, il y a des images imposées des responsabilités et donc des culpabilités, qu’il faut aussi dépasser ou se réapproprier.

Parmi les autres sources de blocages que j’entends plus souvent de la part des femmes que des hommes, il y a aussi la la peur de l’échec ou la question de la légitimité dans le nouvau métier visé. À l’inverse, les hommes ont plus souvent peur de ne pas assurer les besoins financiers de la famille, ou de perdre leur statut social.
En fait, chaque genre porte sur ses épaules une idée imposée de la responsabilité qui est opprimante et rarement justifiée.
Pour en sortir, c’est souvent des personnes aux questionnements similaires qui nous montrent la voie.

Choisir et aller vers son nouveau métier, c’est écouter les voix des sirènes qui nous ressemblent et nous inspirent.

En miroir d’Hélène, je pense notamment à Ayesha, qui, à 38 ans, a pris la difficile décision de s’éloigner de ses enfants en bas âge pour pouvoir effectuer une formation d’un an dans une autre ville, afin de se réorienter dans l’enseignement du chant. Ayesha est aujourd’hui rayonnante, à 41 ans, parce qu’elle aime son métier et aussi parce qu’elle est “fière de pouvoir être un exemple d’épanouissement pour [s]es enfants”. Ayesha est sans doute le genre de personnes qui peut rassurer Hélène et l’aider à s’épanouir.

En fait, pour concrètement aller vers une nouvelle vie professionnelle, il s’agit souvent d’arrêter de se laisser influencer par les personnes qui ne nous correspondent pas, et de mieux se laisser porter par les autres.
Les héros du quotidien qui nous inspirent et nous accompagnent sont souvent des personnes auxquelles on peut s’identifier. Ainsi, les femmes sont souvent inspirées et aidées par d’autres femmes.

Pour ma part, ce sont des Brésiliennes qui m’ont ouvert les yeux, et des Françaises qui m’ont tendu la main. Au Brésil, où j’ai vécu plusieurs mois, je n’aimais pas mon travail. Ce sont des discussions quotidiennes avec cinq amies bienveillantes qui m’ont permis de le réaliser et l’assumer. D’ailleurs, en découvrant plus largement la solidarité féminine vibrante de ce pays, j’ai aussi mieux compris que jamais ma condition genrée, et mon envie d’entraide entre femmes. De retour en France, j’ai tout naturellement attiré et été attirée vers des Françaises qui partageaient mes envies, et qui m’ont aidé à les réaliser.

La surprise des rencontres, et de l’aide reçue par des gens qui nous ressemblent et nous inspirent, c’est le plus grand point commun de tous les témoignages d’Affranchis que j’ai reçus. Et il m’a semblé que cela adoucissait les mœurs, au moins autant que le fait de commencer à s’épanouir au travail.

Alors je ne sais pas si les réorientées sont plus féministes que les autres en moyenne, mais j’ai l’impression qu’elles ont naturellement introduit l’entraide entre femmes dans leur vie, et je trouvais intéressant de le noter.

Une pensée émue à Ariane, Maria, Nina, Anne, Carolina, de São Paulo au Brésil.

Chloé Schemoul
Auteure du Manuel de l’Affranchi : les étapes pour une réorientation professionnelle réussie, publié chez Marabout en Septembre 2019
Fondatrice du collectif Le Collège, collectif d’entraide entre femmes
Freelance en Futurisme et Copywriting

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