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Peut-on avoir des rêves quand on est une femme ?

Texte rédigé par Virginie Delalande

Quand cette question m’a été posée, j’ai d’abord été surprise…

La réponse me semblait tellement évidente : bien sûr que nous pouvons avoir des rêves quand nous sommes une femme… Évidemment ! Quelle question idiote, non ?

Mais très vite, mon corps a commencé à protester : gargouillis dans mon ventre, picotements aux tempes… Et une petite voix venue d’on ne sait vraiment où m’a murmuré : « Pssst, pas si vite ! Virginie, as-tu la mémoire courte ? »

Étonnée de ce qu’il venait de se passer, je me suis assise sur un canapé pour réfléchir plus longuement à cette question. J’ai fermé les yeux et … soudain, malgré moi, j’ai plongé dans le passé, comme dans une machine à remonter le temps… Les années ont défilé à toute vitesse… Puis cet étrange compteur interne a ralenti de plus en plus, jusqu’à s’arrêter dans l’enfance…

Tiens, cela remonte à loin ! En effet, mes souvenirs ont lentement refait surface les uns après les autres…

Virginie, remember…

Petite fille, tu rêvais d’être comme tout le monde ! Mais à 8 ans, face aux moqueries d’autres enfants, ce doux rêve est tombé en miettes. Pour la première fois, tu as compris ce que voulait dire le mot « handicap ». Jamais tu ne seras comme les autres, jamais tu n’entendras comme eux…

Qu’en avais-tu conclu à cette époque ?

Que tous les rêves ne sont pas 100% réalistes, non ?

Eh oui, quand on est sourd ou aveugle, on ne peut pas retrouver l’ouïe ou la vue d’un coup de baguette magique. Ce jour-là, ton innocence s’en est allée… Tu as décidé de chercher à comprendre les rouages de ce monde !

Dix ans après, tu avais à nouveau des rêves pleins la tête… Et comme la plupart des jeunes de 18 ans, le monde t’appartenait. Tu voyais ta vie se dérouler sans accrocs : un beau métier, une famille et une belle maison au bord de la mer. Parfait !

Pourtant, rappelle-toi ce qu’il s’est passé lorsque ces rêves ont été confrontés à la réalité. Dès la terminale, tu as très vite senti des barrières se dresser une à une devant toi : « avocate ? Avec ton handicap, oublies ! Au pire si vraiment tu insistes, choisis une petite université de 3ème zone, ce sera plus facile pour toi. »

Par fierté, et par soif de revanche, tu as choisi de faire l’une des universités les plus dures de France : ce sera Assas ! Et en 2007, tu étais la première avocate sourde de naissance en France. Yess !

Deuxième leçon de vie : Quand vous avez un rêve, étrangement, vous trouverez toujours beaucoup de gens pour sous-estimer vos capacités. Ne les laissez pas tout briser. Croyez en vous et persévérez !

A 28 ans, te voilà avocate, mariée et au début de ta vie professionnelle… Les études sont derrière toi. Tu es libre !! Tu vas enfin pouvoir travailler, gagner ta vie, vivre comme tu l’imaginais…

Mais entre-temps, tu es aussi devenue maman de deux merveilleux enfants. Et gros dilemme : comment concilier ambition et maternité ? Comment trouver l’équilibre entre se décarcasser au boulot pour faire carrière quand on est avocat ou cadre supérieur et les moments de complicité avec deux petits êtres pour qui leur maman est la personne la plus importante au monde ?

Oui, il faut faire des choix…

Parfois les rêves prennent plus de temps à être réalisés que ce qu’on souhaiterait mais l’important est de rester sur la route. Prenez le temps de tout poser sur la table et de classer vos objectifs / rêves par ordre de priorité selon le contexte… Et continuez chaque fois que vous pouvez à faire un petit pas vers votre rêve ! Ne le perdez pas en route ! Mais surtout lâchez prise sur le timing ! Soyez bienveillante avec vous-même ! Ce n’est pas grave si votre rêve met un peu plus de temps que prévu pour être réalisé, l’important est qu’il devienne réalité.

Virginie, après réflexion, tu as donc décidé de garder tes mercredis pour tes enfants, ce qui avait forcément un impact sur ta carrière mais tu le compensais en rentrant tard les autres soirs et en te faisant aider à la maison : femme de ménage, nounou pour les devoirs…

Tu avais aussi la chance d’avoir un homme très investi à tes côtés, un vrai papa qui voulait avoir une place tout aussi importante que la tienne dans le cœur de tes enfants. Tu avais compris que ce détail, anodin en apparence, est pourtant essentiel pour une femme.

Sans parité dans le couple (si vous avez la chance d’en avoir un), tout devient plus compliqué : vous devez être sur tous les fronts et assurer à tous les niveaux, ce qui est bien sûr impossible sur le long terme… Vous finissez généralement par craquer et vous dire que « pfff, c’est lourd ! Comment font les autres ? » Si vous en arrivez là, c’est qu’il y a un déséquilibre quelque part.

Réaliser ses rêves n’est possible que si l’on s’en donne les moyens ET que si notre environnement est bienveillant.

Comment faire ? Ne pas ignorer ses émotions négatives, ni la frustration ressentie lorsqu’on a l’impression de ne pas arriver à avancer vers notre rêve. Ne laissez pas les choses rester telles quelles : prenez du recul et agissez sur ce qui vous empêche d’avancer… Est-ce votre organisation ? Vos croyances devenues obsolètes ? Vos peurs ? Le conjoint ? La famille ? L’entourage professionnel ou amical ?

Virginie, aujourd’hui, tu as fait tout ce travail… Tu as éliminé un par un tout ce qui te tirait vers le bas, t’empêchait…

Et tu as enfin réalisé de nombreux rêves chers à ton cœur : déployer tes ailes et te mettre à ton compte, prouver qu’on peut être épanouie malgré les barrières de la vie (handicap, dépression…), t’autoriser à aller tutoyer les étoiles, et aider toutes les femmes qui le souhaitent à trouver elles aussi le chemin vers leurs propres étoiles…

Rappelle-toi, Virginie, le chemin a été ardu : tu as pleuré, tu t’es découragée, tu t’es ressaisie, tu t’es fait aider parfois… Mais tu as fini par comprendre quel était le chemin vers tes rêves ! Voilà pourquoi aujourd’hui, tu trouves cette question un peu étonnante… Heureusement que je suis là, moi ta petite voix, pour te rappeler que, plusieurs fois dans ta vie, oui ma chère Virginie, tu t’es dit « une femme, surtout quand elle a un handicap, a-t-elle seulement le droit de rêver ? »

Je n’ai qu’un conseil à vous donner : vivez vos rêves, ne rêvez pas juste votre vie ! C’est, pour moi, la plus belle clé de l’épanouissement personnel…